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GUIDE DE L’EXPOSITION

Les quatre martyrs de Lübeck

Eduard Müller
Johannes Prassek
Hermann Lange
Karl Friedrich Stellbrink
assassinés le 10 novembre 1943


 

BIENVENUE

Le 10 novembre 1943, quatre ecclésiastiques de Lübeck, le pasteur protestant Karl Friedrich Stellbrink et les prêtres catholiques Hermann Lange, Eduard Müller et Johannes Prassek, meurent sous le couperet de la guillotine. Ils ont été condamnés à mort à l’été 1943 par le tribunal du Peuple du régime national-socialiste. Le Mémorial des martyrs de Lübeck témoigne, depuis 2013, de la vie et du legs spirituel des martyrs de Lübeck.

COMMENT UTILISER CE GUIDE ?

Sur les pages qui suivent, vous trouverez une reproduction de chaque panneau exposé au rez-de-chaussée et au sous-sol et la traduction des textes. Vous pourrez ainsi explorer les différentes étapes de l’exposition l’une après l’autre. Pour en savoir plus, n’hésitez pas à consulter les bornes interactives situées dans la partie droite de la salle : sous chaque écran, un pavé tactile permet de naviguer et de sélectionner différents sujets.

Dans l’entrée, à laquelle on accède par l’église, se dresse un grand crucifix qui a appartenu à Hermann Lange. Sur le mur attenant à l’église, une série de panneaux retrace les événements vécus par les quatre martyrs de Lübeck (sur fond beige), tout en les resituant dans le temps et dans l’histoire (sur fond gris). En face, une enfilade de fenêtres habillées par l’artiste graphiste Julia Siegmund éclaire la pièce. Son oeuvre en 17 parties illustre la vie et la mort des martyrs de Lübeck. Perpendiculairement aux fenêtres, quatre stèles avec de grands portraits des quatre martyrs proposent, sur leur face arrière, des informations plus détaillées sous forme audiovisuelle (écran et écouteurs) sur la biographie de chacun d’eux.

Au bout de la pièce, un escalier (ou un ascenseur, au choix) mène dans l’ancienne cave à charbon. Sur votre gauche, vous découvrirez l’histoire des laïcs incarcérés en même temps que les ecclésiastiques et celle de la gouvernante du presbytère ; et sur votre droite, la description de la béatification des quatre martyrs. La porte située au fond de la cave donne sur le trésor du mémorial. Enfin, l’ouverture percée dans le mur de gauche permet d’accéder à la crypte, aménagée en lieu de mémoire, de silence et de prière.


Les martyrs de Lübeck

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Le 10 novembre 1943, quatre ecclésiastiques sont guillotinés dans une prison de Hambourg. Arrêtés en 1942, ils ont été condamnés à mort en 1943 par le tribunal du Peuple à Lübeck. Trois d’entre eux, les prêtres catholiques Hermann Lange, Eduard Müller et Johannes Prassek, étaient vicaires de la paroisse du Sacré-Coeur, tandis le pasteur Karl Friedrich Stellbrink exerçait son ministère à l’église Luther.

Qui sont ces quatre hommes, arrivés à Lübeck pour l’un en 1934, pour les autres en 1939 –1940 ? Comment sont-ils devenus des opposants à la dictature national- socialiste et pourquoi ont-ils été assassinés ? Pourquoi sont-ils vénérés depuis 1943 sous la dénomination des « quatre martyrs de Lübeck » et pourquoi les trois prêtres catholiques ont-ils été béatifiés en 2011 ?

Le contexte historique : de l’Empire au national-socialisme

Les quatre hommes sont nés sous l’Empire allemand, à une époque où nationalisme, militarisme et antisémitisme sont largement répandus dans la société. En 1918, alors que l’Allemagne a perdu la Première Guerre mondiale, une révolution éclate dans le pays. Elle aboutit à la création d’une démocratie : la République de Weimar. La situation de cette république est toutefois très précaire ; dès le départ, elle est attaquée de toutes parts, par les communistes comme les partisans de l’Empire. La population allemande, qui souffre terriblement de l’inflation catastrophique de 1923, impute tous ses problèmes à la jeune démocratie, alors que le vrai responsable est l’Empire. La confiance dans la nouvelle forme de gouvernement s’effrite. En outre, les principes de soumission et de foi aveugle dans l’autorité, qui restent profondément ancrés chez beaucoup de gens, font obstacle à l’implantation d’une mentalité démocratique dans l’ensemble de la population.

La crise économique mondiale de 1929 attise encore le mécontentement des Allemands. Les nationaux-socialistes ou « nazis », un parti d’extrême droite, en tirent profit et, à partir de 1930, gagnent de plus en plus d’électeurs à leur cause. Le 30 janvier 1933, Adolf Hitler est nommé chancelier du Reich. C’est le début de la dictature nazie.


Lübeck 1933 – 1938

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Comme partout ailleurs dans le Schleswig-Holstein, les drapeaux à croix gammée et les uniformes ont envahi la ville. L’idéologie agressive du nouveau régime se manifeste entre autres par le boycott des magasins juifs le 1er avril 1933 et par un autodafé de livres « non allemands » sur le Buniamshof le 26 mai 1933. Le directeur du musée Ste-Anne, Carl Georg Heise, est par ailleurs renvoyé parce qu’il promeut particulièrement l’art des expressionnistes – un art jugé « dégénéré ».

Les opposants politiques des nazis, comme le député SPD Julius Leber, sont persécutés. La communauté catholique du Sacré-Coeur peut quant à elle célébrer, en 1933, sa première procession de la Fête-Dieu depuis longtemps, mais elle subit, en tant que minorité, une ingérence croissante de l’État dictatorial. Les écoles catholiques sont notamment contraintes de fermer.

À partir de 1933, le nouvel évêque évangélique (protestant) Erwin Balzer, nazi convaincu, fait venir à Lübeck de nombreux pasteurs acquis au régime. L’église Luther accueille ainsi un nouveau pasteur en 1934 : Karl Friedrich Stellbrink, qui défend des positions clairement nationalistes, antisémites et anticatholiques. Vers 1936, cependant, il se produit chez lui une transformation intérieure qui le conduit peu à peu à s’opposer à la dictature. Il est aussitôt exclu du parti et se retrouve également isolé au sein de l’Église évangélique de Lübeck.

Parallèlement, le développement dans toute l’Allemagne d’une industrie de l’armement trahit les projets de guerre nourris dès l’origine par l’État nazi. À Lübeck aussi, des armes et des munitions sont fabriquées dans plusieurs usines.

Légendes

Défilé de la SA devant l’hôtel de ville de Lübeck (6 mars 1933)

Usine d’armement à Lübeck

Le pasteur Stellbrink et l’évêque Balzer lors de l’inauguration de l’église Luther de Lübeck

L’église du Sacré-Coeur de Lübeck (Herz Jesu-Kirche)

La dictature nazie et les Églises

Après leur accession au pouvoir en janvier 1933, il ne faut que quelques mois aux nazis pour démanteler toutes les structures démocratiques allemandes et instaurer une dictature. Le caractère totalitaire du nouveau régime transparaît dans sa volonté de contrôler la vie de chaque individu jusque dans ses aspects les plus intimes.

L’un des objectifs à long terme des nazis est de se débarrasser des Églises chrétiennes en tant qu’institutions publiques. Lorsque l’Église évangélique se laisse mettre au pas, dès 1933, une querelle interne (Kirchenkampf) éclate ; elle donne naissance en 1934 à l’Église confessante (Bekennende Kirche), qui s’élève contre la mainmise de l’État sur la religion.

L’Église catholique, pour sa part, a dès avant 1933 pris ses distances par rapport aux idées du parti national- socialiste et condamné certains éléments de son programme comme « fausses doctrines ». La Curie romaine et l’État nazi signent néanmoins, en juillet 1933, un concordat pour éviter un conflit ouvert. Bien que l’accord ainsi conclu garantisse l’autonomie des institutions ecclésiastiques, le régime nazi compliquera de plus en plus l’existence des écoles, associations et journaux catholiques. Les nazis tentent par ailleurs de semer la discorde entre les fidèles et leur clergé en intentant des « procès de moralité » contre des ecclésiastiques. Par son Encyclique Ardente cura (« Avec une brûlante inquiétude ») de 1937, le pape Pie XI attaquera ouvertement cette politique, sans que cela ne change quoi que ce soit.

Légendes

Un Parlement vidé de sa substance : la mise au pas du Reichstag en 1933

Endoctrinement de la jeunesse : la « théorie des races » enseignée à l’école

Autodafé de livres « non allemands » à Berlin le 10 mai 1933

Défilés de drapeaux chrétiens lors d’une procession catholique à Münster en 1936 : l’Église affirme sa présence

Pacifisme de façade : Hitler devant la porte de Brandebourg à Berlin lors des Jeux olympiques de 1936

Le nonce apostolique Orsenigo et Hitler à la réception du Nouvel An de la chancellerie de Berlin


Accompagnement spirituel

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En 1939, l’évêque du diocèse d’Osnabrück, Wilhelm Berning, envoie deux jeunes prêtres à l’église du Sacré-Coeur de Lübeck pour assister le doyen Albert Bültel : Johannes Prassek et Hermann Lange. Ils sont suivis en 1940 d’Eduard Müller. Tous trois ont étudié à Münster et ont fait leur séminaire à Osnabrück.

Pendant toute cette période, ils ont vécu de l’intérieur la guerre menée par le régime nazi contre l’Église et les efforts déployés notamment par l’évêque de Münster Clemens August Graf von Galen pour préserver son droit d’autodétermination.

Les trois prêtres s’attirent rapidement l’estime et la sympathie de la communauté du Sacré-Coeur. Outre la célébration de la messe, la prédication et l’aide spirituelle quotidienne, ils sont particulièrement attachés à l’accompagnement spirituel des jeunes et organisent des cercles de discussion pour enfants, adolescents et jeunes adultes.

Légendes

Célébration des 25 ans de ministère de l’évêque d’Osnabrück : l’évêque Clemens August Graf von Galen et l’évêque Wilhelm Berning (photographie d’Eduard Müller)

Albert Bültel (*1887 †1954), curé du Sacré-Coeur et doyen du doyenné de Lübeck

Hermann Lange au séminaire d’Osnabrück

Johannes Prassek le jour de sa première messe

Eduard Müller dans le jardin du presbytère du Sacré-Coeur

Une guerre d’agression

En envahissant la Pologne le 1er septembre 1939, Hitler engage une guerre de conquête, raciale et d’extermination. Dans tous les territoires occupés par l’Allemagne, la population juive est persécutée et assassinée sans pitié. La population civile, particulièrement en Europe de l’Est, est opprimée et exploitée au nom de l’idéologie raciale nazie. Au cours de la guerre, des millions de personnes dans toute l’Europe seront envoyées en Allemagne comme travailleurs forcés.

À la différence de 1914, l’annonce de la guerre ne suscite pas l’enthousiasme de la population allemande ; le sentiment qui domine est plutôt l’accablement. En 1939, la plupart des gens ne se rendent pas encore compte du caractère criminel de ce conflit.

Au début, les dirigeants des deux confessions chrétiennes assurent l’État du soutien de principe de leurs Églises et exhortent leurs fidèles à accomplir leur devoir et à prier. Mais certains prêtres se montrent beaucoup plus critiques, au sein de leurs paroisses, que leurs évêques et se retrouvent dans le collimateur de la Gestapo.

Légendes

L’invasion de la Pologne par la Wehrmacht le 1er septembre 1939 marque le début de la Deuxième Guerre mondiale.


Une attitude critique

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Dans les cercles de discussion du Sacré-Coeur, les sujets abordés sortent bientôt du cadre de l’instruction religieuse. Les vicaires débattent aussi, avec les participants, de questions éthiques et politiques ; ils ouvrent aux jeunes des horizons inhabituels de liberté intellectuelle en leur faisant par exemple découvrir l’art « dégénéré » d’Ernst Barlach. Ils se dressent ainsi contre les nazis, qui s’efforcent d’embrigader la jeunesse et de la rallier à la dictature en la soustrayant aux influences éducatives des parents, de l’école et de l’Église. Ce combat pour la jeunesse sera l’un des facteurs déclencheurs de la transformation intérieure vécue par le pasteur Stellbrink.

L’État nazi exige de tous les citoyens une adhésion totale à la guerre. À cet égard aussi, les quatre ecclésiastiques de Lübeck se retrouvent, indépendamment les uns des autres, en opposition avec le régime. Le pasteur Stellbrink se révèle, à partir de 1939, un adversaire de plus en plus convaincu de la guerre, ce qui lui vaut une mise en garde des autorités publiques. Hermann Lange se fonde sur ses convictions chrétiennes pour affirmer dans ses cercles de discussion qu’il n’est pas possible pour un chrétien de participer à une guerre injuste

Légendes

Jeunesses hitlériennes à Lübeck

Avec l’aide de jeunes garçons, Eduard Müller transforme la cave à charbon de l’église du Sacré-Coeur en lieu de réunion pour jeunes

L’église Ste-Catherine de Lübeck, avec trois sculptures d’Ernst Barlach exécutées en 1929 –1932 mais installées en 1947 parce que les oeuvres de l’artiste étaient interdites sous les nazis

Progression militaire

Après l’invasion de la Pologne, l’Allemagne poursuit en 1940 sa guerre de conquête en Europe de l’Ouest. Les capitulations rapides du Danemark, de la Norvège, des Pays-Bas, de la Belgique et du Luxembourg, mais aussi et surtout de la France, font apparaître Hitler au zénith de sa puissance. En perdant la bataille d’Angleterre, à la fin de l’été 1940, il échoue toutefois à soumettre la Grande-Bretagne.

Les annonces de victoires qui se succèdent entraînent une adhésion massive, jusque-là inégalée, de la population allemande à la politique hitlérienne.

Les résistants au régime nazi – issus aussi bien du milieu ouvrier que des milieux aristocratiques et militaires national-conservateurs – sont peu nombreux, et cette euphorie générale réduit encore leurs maigres chances de vaincre Hitler et sa dictature.

Légendes

Au zénith de sa puissance : Hitler avec ses généraux devant la tour Eiffel à Paris (juin 1940)

Foule en liesse à Berlin après la capitulation de la France

Avions allemands pendant la bataille d’Angleterre


Rassemblés sous la Croix

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Bien que les contacts entre les deux confessions soient peu fréquents à l’époque, le vicaire Prassek et le pasteur Stellbrink font connaissance en 1941. Leur attitude commune de rejet du régime nazi, de son anticléricalisme et de ses crimes rapproche les quatre ecclésiastiques de Lübeck, faisant passer leurs différences religieuses à l’arrière-plan. Ils s’échangent des textes hostiles au régime et même leurs sermons et prédications, se tiennent mutuellement informés des émissions de radios étrangères, reproduisent et distribuent les sermons de l’évêque von Galen de l’été 1941. Johannes Prassek condamne en outre, lors de certaines discussions, le traitement infligé aux travailleuses forcées polonaises à Lübeck – et leur apporte d’ailleurs clandestinement une aide spirituelle et pratique. Tous les quatre savent pertinemment qu’ils pourraient être sévèrement punis par le régime totalitaire pour ces activités.

Le groupe est bientôt surveillé par la Gestapo, la police politique nazie, qui infiltre des mouchards, par exemple dans les cercles de discussion du presbytère du Sacré-Coeur.

Légendes

Le presbytère du Sacré-Coeur est le lieu de conférences religieuses, d’échange d’informations secrètes et le « dernier refuge de la parole libre » (Stephan H. Pfürtner)

Travailleuses forcées polonaises à Lübeck : Tamara Warlamowa, Anna Krelman, Aniela Grzybowska

Copies des sermons critiques de l’évêque von Galen, distribuées clandestinement mais aussi lâchées sur l’Allemagne par des bombardiers alliés

La guerre intérieure

L’attaque de l’Union soviétique par l’Allemagne le 22 juin 1941 marque une nouvelle extension de la guerre vers l’Est en même temps qu’une intensification de la politique criminelle du national-socialisme.

À l’intérieur du Reich, le combat contre les Églises continue à se radicaliser : les monastères catholiques sont confisqués, les moines et moniales en sont chassés et les prêtres sont arrêtés. Toute apparence de critique, contre la guerre ou l’État, déclenche des poursuites en justice pour « crime d’intelligence avec l’ennemi ».

Dans ce contexte, trois sermons de l’évêque Clemens August Graf von Galen viennent semer le trouble dans la population, bien au-delà de son diocèse de Münster. L’évêque y condamne ouvertement, entre autres, l’assassinat systématique depuis le début de la guerre des personnes handicapées mentales ou physiques ainsi que des malades mentaux. Vu la popularité de von Galen et le retentissement de ses sermons, les dirigeants nazis n’osent pas s’attaquer directement à lui.

Légendes

Kasimierz Majdanski, évêque de Szczecin-Kamień et ancien détenu du camp de concentration de Dachau, dans une baraque reconstituée, en 1989. Plus de 2 700 ecclésiastiques des deux confessions chrétiennes, de quelque 20 nationalités, seront incarcérés au camp de Dachau jusqu’en 1945. Plus de 1 000 d’entre eux y périront.

C’est dans les bus de la « SARL d’utilité publique pour le transport des malades » que malades et handicapés sont assassinés par administration d’injections et de comprimés.

Manifestes idéologiques du NSDAP, symboles d’« idolâtrie » et de « paganisme » selon les mots de l’évêque von Galen

Ordre signé par Hitler de tuer les personnes handicapées mentales et physiques

Clemens August Graf von Galen (1878–1946), évêque de Münster de 1933 à 1946, béatifié le 9 octobre 2005


L’inculpation

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Dans la nuit du 28 au 29 mars 1942 (dimanche des Rameaux), Lübeck est bombardée par l’armée de l’air britannique et en grande partie détruite. Quelques jours plus tard, le pasteur Stellbrink est arrêté pour avoir parlé dans l’une de ses prédications, à propos du bombardement, de « jugement de Dieu » et pour l’avoir comparé à un châtiment. Le régime nazi profite de l’occasion que lui fournissent les paroles – volontairement déformées – de Stellbrink pour écraser ce noyau de résistance. Les trois vicaires catholiques sont arrêtés à leur tour dans les semaines qui suivent.

Tandis que l’Église évangélique prend aussitôt ses distances par rapport à Stellbrink, l’évêque d’Osnabrück, Wilhelm Berning, essaie d’entrer en contact avec les prisonniers, ce qui lui prendra des mois. Ces derniers souffrent des conditions de détention inhumaines et surtout de leur isolement, qui est au début complet. Leurs lettres témoignent cependant d’une foi intacte en Dieu et de leur certitude d’avoir eu raison de défendre leurs convictions religieuses et les valeurs d’humanité qui y sont attachées.

Légendes

La Parade de Lübeck après le bombardement de la nuit du 28–29 mars 1942

La prison pour hommes de Lübeck-Lauerhof

Le centre de détention provisoire de Lübeck-Ville

Photographies d’identification : Karl Friedrich Stellbrink est photographié au moment de son arrestation en 1942. Les photographies des trois vicaires, prises en juin 1943, trahissent déjà les effets de 12 mois d’enfermement.

Radicalisation

Lors de la conférence de Wannsee, qui se tient à Berlin le 20 janvier 1942, l’extermination définitive des juifs d’Europe est programmée avec précision bureaucratique et froideur technique. Au cours des années suivantes, ce génocide sera mis en oeuvre, à une échelle inimaginable, dans des camps d’extermination.

En 1941– 42, les revers militaires essuyés sur le front de l’Est et l’entrée en guerre des États-Unis annoncent le tournant de la guerre.

Les conséquences épouvantables du conflit deviennent de plus en plus tangibles pour la population civile allemande : des centaines de milliers de soldats allemands meurent loin de leur pays, et les escadres alliées intensifient leurs attaques sur les villes allemandes.

Les bombardements ne visent pas seulement les installations industrielles et les infrastructures, mais aussi les centres urbains et les quartiers résidentiels. Le but est d’ébranler la confiance en Hitler et dans la « victoire finale ».

Légendes

« Sélection » sur la rampe du camp d’extermination d’Auschwitz

Aucun conflit n’avait encore jamais été aussi meurtrier que la Deuxième Guerre mondiale.

Bombardiers alliés au-dessus de l’Allemagne

Les bombardements réduisent les villes en cendres : l’hôtel de ville de Lübeck est détruit.


Le martyre

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Le « procès » a lieu en juin 1943 devant la 2e chambre du tribunal du Peuple (Volksgerichtshof), qui siège spécialement à Lübeck. La sentence est fixée d’avance. Les quatre ecclésiastiques sont condamnés à la peine capitale pour « écoute de radios ennemies », « entreprise de démoralisation de la Wehrmacht » et « trahison par intelligence avec l’ennemi ». Pour éviter les risques d’une mise en cause de l’évêque von Galen, le chef d’accusation « diffusion des sermons de Galen », pourtant considéré comme déterminant, est supprimé du dossier sur l’initiative d’Hitler. Les recours en grâce et l’intervention personnelle de l’évêque Berning et de Mme Stellbrink restent sans effet. Le régime nazi, empli de haine à l’égard des institutions ecclésiales, veut de toute évidence faire un exemple, de manière à étouffer toute velléité de critique intérieure au moment où la guerre change de tournure.

Les condamnés se préparent à la fin de leur vie terrestre. C’est la tête haute, fidèles à leurs convictions et soumis à la volonté divine qu’ils vont à la mort. Leurs lettres d’adieu en offrent un témoignage bouleversant.

Le soir du 10 novembre 1943, à partir de 18 heures, les quatre ecclésiastiques sont décapités l’un après l’autre, à quelques minutes d’intervalle.

Légendes

Le lieu du « procès » : la salle de la cour d’assises de Lübeck

Le défenseur : Walther Böttcher, qui sera plus tard président du Parlement du Land de Schleswig-Holstein (1954 –1959)

Le juge : Wilhelm Crohne

Extraits des lettres d’adieu écrites le 10 novembre 1943

Réplique de la guillotine avec laquelle les condamnés ont été exécutés à la prison de Holstenglacis à Hambourg

Le début de la fin

La capitulation de la 6e armée allemande à Stalingrad en janvier 1943 marque un tournant décisif. Les troupes allemandes sont repoussées sur tous les fronts. La population allemande, partagée entre l’effroi et la volonté de tenir bon, se méfie de plus en plus des affirmations de la propagande.

Les nazis répondent à ces revirements militaires par une radicalisation accrue de leur politique. Le 18 février 1943, au Palais des Sports de Berlin, le ministre de la Propagande Goebbels proclame la « guerre totale ». Les persécutions et les sanctions à l’encontre des personnes se livrant à toute forme de résistance ou critiquant les façons d’agir du régime s’intensifient. C’est ainsi que les étudiants Hans et Sophie Scholl, ainsi que Christoph Probst, membres du mouvement de résistance La Rose blanche (Die weiße Rose) sont guillotinés le 22 février 1943.

Le tribunal du Peuple présidé par Roland Freisler devient le symbole de la justice de la terreur, toujours plus implacable, pratiquée par l’État dictatorial.

Légendes

Soldats allemands faits prisonniers après la capitulation de Stalingrad

Par son « discours du Sportpalast » (Berlin, 18 février 1943), le ministre de la Propagande Joseph Goebbels tente de mobiliser le peuple pour la « guerre totale » en dépit des défaites du Reich.

Symbole d’une justice de la terreur : le Volksgerichtshof avec son président Roland Freisler


Les martyrs de Lübeck

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Les nazis s’efforcent de faire disparaître toute trace et tout souvenir des quatre ecclésiastiques de Lübeck. Jusqu’à la fin, ils refuseront de restituer leurs dépouilles mortelles à leurs proches.

La plupart des dix lettres d’adieu que les quatre hommes ont adressées à leurs familles, à l’évêque d’Osnabrück et au doyen Bültel ne seront pas remises à leurs destinataires. En ce qui concerne les deux lettres de Hermann Lange et Johannes Prassek à l’évêque d’Osnabrück, Wilhelm Berning, les représentants de cette justice inique expriment dans un document interne leur crainte qu’elles « ne tombent d’une quelconque manière entre les mains de personnes non autorisées et (...) puissent être utilisées à des fins de propagande préjudiciables à l’État ».

Si les nazis continuent de voir dans les ecclésiastiques de Lübeck, même après leur mort, une menace pour le régime, c’est sans doute parce que la situation militaire de l’Allemagne se dégrade de manière dramatique sur tous les fronts, tandis que le mécontentement grandit parmi la population.

La libération

Dix-huit mois plus tard, c’en est fini du Troisième Reich. À l’effondrement militaire succède en 1944–1945 l’occupation et la libération complètes de l’Allemagne par les puissances alliées victorieuses : Grande-Bretagne, États-Unis et Union soviétique.

Le 8 mai 1945, la capitulation sans conditions de l’Allemagne met fin à la Deuxième Guerre mondiale en Europe. Le résultat de la politique mégalomaniaque du nazisme, de sa folie raciste et de son mépris de l’être humain, de son régime de terreur et de sa volonté d’extermination, ce sont plus de 55 millions de morts, dont plus de six millions de juifs victimes de l’Holocauste. L’Europe n’est plus qu’un champ de ruines, et des millions de personnes sont déplacées.


Les codétenus laïcs

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Après l’arrestation des quatre ecclésiastiques, la Gestapo appréhende dix-huit laïcs à Lübeck. La plupart ont participé aux cercles de discussion des trois vicaires du Sacré-Coeur. Ces hommes sont d’abord, comme les ecclésiastiques, incarcérés à la prison du Burgkloster, puis dans celle de Lauerhof. Ils resteront en détention pendant près d’un an, jusqu’au procès devant le tribunal du Peuple.

La Gestapo espère aggraver les charges pesant contre les ecclésiastiques grâce aux déclarations des laïcs, mais ce plan échoue, car aucun d’eux ne se laisse convaincre de témoigner en ce sens ; ni l’isolement, ni les coups, ni les interrogatoires terrifiants, rien ne les fait céder. Stephan Pfürtner décrira plus tard leurs conditions de détention déprimantes : « L’infinie monotonie de nos journées caractérisait le cours extérieur du temps, mais à l’intérieur, cette monotonie ouvrait des abîmes. Que faire quand les jours se suivent et qu’on reste dans une cellule d’environ deux mètres et demi sur trois et demi sans rien à lire, à écrire, à faire, ni personne à qui parler ? » Les interrogatoires de la Gestapo se concentrent, pour Pfürtner, sur la question de savoir si l’étudiant a été en relation avec le mouvement de résistance de La Rose Blanche, à Munich, ce qui n’est pas le cas. L’incarcération des laïcs met aussi leurs familles en difficulté ; non seulement elles sont inquiètes pour eux, mais l’État s’acharne contre elles. Cependant, elles reçoivent, au sein de la communauté catholique, le soutien de voisins et amis. Un jour, alors que les détenus construisent une baraque pour la Gestapo à Lübeck, et malgré la surveillance à laquelle ils sont soumis, un heureux hasard offre aux épouses et aux enfants la possibilité de les voir ne serait-ce qu’un instant et de leur glisser en cachette de la nourriture et même des hosties pour la communion.

Lors du procès devant le tribunal du Peuple, seize des laïcs sont condamnés à des peines d’emprisonnement relativement courtes et sont libérés directement, leur détention provisoire étant prise en compte. Le juge considère qu’ils ont été « dévoyés » par les ecclésiastiques. Deux des laïcs, néanmoins, qui ont des liens professionnels avec le Sacré-Coeur, sont condamnés à de plus lourdes peines pour « écoute de radios ennemies ». Robert Köster, préposé aux archives, purgera une peine de détention d’un an, jusqu’en octobre 1944, et mourra en 1946. Adolf Ehrtmann, le trésorier de la paroisse, sera condamné à cinq ans de réclusion et ne sera libéré qu’à la fin de la guerre. Après celle-ci, il participera comme ministre de la Construction et politicien local à la reconstruction de Lübeck.

Johanna Rechtien, la gouvernante

Johanna Rechtien (*1911 | +1991), la gouvernante du presbytère, s’avérera un soutien important pour les vicaires incarcérés. Elle s’occupait depuis 1933 déjà du ménage au presbytère, rue de la Parade, et elle continuera à y travailler pendant toute la guerre et jusqu’au décès du doyen Bültel en 1954.

Après l’arrestation des trois prêtres, « tante Hanna », comme Johannes Prassek l’appelle affectueusement dans l’une de ses lettres, se charge de leur linge et réussit à leur faire parvenir régulièrement quelques produits de première nécessité, comme des rasoirs ou des pull-overs chauds. Elle leur procure également de quoi écrire ainsi que des livres – des objets particulièrement précieux pour les prêtres pendant leur interminable isolement cellulaire. Mais Johanna Rechtien pousse plus encore le dévouement, n’hésitant pas à prendre des risques considérables. Elle fait ainsi entrer clandestinement dans les cellules, avec les paquets de linge, des hosties et du vin de messe, de sorte que les vicaires peuvent désormais célébrer chaque jour la messe. Pour les ecclésiastiques comme pour les laïcs, il avait été extrêmement douloureux de devoir renoncer à recevoir la Communion.

Johanna Rechtien ne tient pas compte de l’obédience des détenus et apporte la même assistance au pasteur Karl Friedrich Stellbrink, comme en témoigne une lettre de ce dernier à son épouse Hildegard, dans laquelle il demande que leur fille remercie la gouvernante en son nom.

En retour, les vicaires font sortir de prison, par l’entremise de la gouvernante, des nouvelles non censurées, ce qui leur permet de donner des informations sur leur situation réelle.

Johanna Rechtien a fait preuve, par tout ce qu’elle a entrepris pour les quatre ecclésiastiques, d’un courage extraordinaire, car si la Gestapo avait eu vent de ses activités, elle aurait elle-même été arrêtée et condamnée.


Souvenir et hommage

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Après l’exécution des martyrs de Lübeck le 10 novembre 1943, ce sont d’abord des personnes de leur entourage immédiat, et surtout leurs codétenus laïques, qui rendent à leur souvenir un hommage reconnaissant.

Au cours des années suivantes s’instaurent – bien au-delà de Lübeck – différentes formes de célébration de leur mémoire et de vénération qui perdurent jusqu’à aujourd’hui. Ces pratiques sont particulièrement présentes dans des lieux qui ont un lien direct avec l’un des ecclésiastiques.


Vers la béatification du 25 juin 2011

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Dans un premier temps, ce sont leurs codétenus laïques, leurs familles et les membres des groupes de jeunes qui commémorent le martyre des ecclésiastiques assassinés. Cela deviendra peu à peu une tradition, dans l’esprit de solidarité oecuménique qui liait les martyrs de Lübeck. Chaque année, autour du 10 novembre, des chrétiens catholiques et protestants célèbrent des services religieux en leur mémoire.

En novembre 1983, à l’occasion du 40e anniversaire de leur mort, des laïcs et des ecclésiastiques des deux confessions fondent le Cercle de travail du 10 novembre (Arbeitskreis 10. November), qui se donne pour but d’entretenir et de perpétuer le souvenir des martyrs de Lübeck.

En 1993, à l’occasion du 50e anniversaire de l’assassinat des ecclésiastiques, le musée du Burgkloster consacre aux martyrs de Lübeck une exposition remarquée, qui sensibilise un public plus large à leur action et à leur martyre. La même année, le pasteur Stellbrink est réhabilité par l’Église évangélique luthérienne du Nord de l’Elbe et sa suspension, intervenue en 1942, est levée. Son action, désavouée pendant de longues années, est enfin reconnue officiellement par l’Église évangélique.

La procédure de béatification des trois prêtres catholiques est entamée en 2004, sous le pontificat de Jean-Paul II, à l’initiative de l’archevêque de Hambourg, Werner Thissen.

Le 1er juillet 2010, un décret pontifical du pape Benoît XVI met les trois vicaires au rang des bienheureux.

Le 25 juin 2011, une messe pontificale est célébrée devant l’église du Sacré-Coeur de Lübeck, en présence d’une foule de fidèles des deux confessions, en l’honneur de la béatification de Hermann Lange, Eduard Müller et Johannes Prassek. Un hommage est également rendu à la mémoire du pasteur Stellbrink.

Les martyrs de Lübeck ont donné, par leur vie comme dans leur mort violente, un exemple remarquable de fidélité à la foi. Selon les conceptions catholiques, l’Église peut établir que les Bienheureux ont déjà atteint à la perfection en Dieu. C’est ce qu’elle annonce solennellement par la béatification. Les fidèles peuvent désormais honorer les vicaires par leurs prières et leur demander aide, protection ou intercession.

 

DES QUESTIONS ?

Erzbischöfliche Stiftung Lübecker Märtyrer
(Fondation archiépiscopale Martyrs de Lübeck)
Parade 4, 23552 Lübeck, Allemagne

Responsable : Jochen Proske,
directeur du Mémorial

Traduction : Solveig Kahnt et Muriel Weiss

Mise en page : Angela Lyle

Propriété du Mémorial des martyrs de Lübeck